Interview Mhd Jemil Mansour avec le journal Points Chaud

mar, 01/27/2015 - 12:16

Dans une interview accordée au journal Points Chauds, le président de Tawassoul et leader charismatique du FNDD se livre à bâtons rompus aux couacs de la médiation avortée du Guide libyen Mouammar Kadhafi. Mohamed Jemil Mansour parle presque de tout.

   

Il brosse une évaluation sur l’action du Fndd, les intimidations de l’actuel régime politique, l’échec du président de l’Union Africaine dans le lancement du dialogue politique national, les allusions de celui sur l’ère omeyyade. Le leader du parti islamiste répond à tout et interprète également les retraits de la coalition anti-putsch du palais des congrès lors du discours de Kadhafi ainsi que celui de Ould Ghoullam de la khotba du vendredi dernier pour les mêmes raisons. 
  
M. Mohamed Jemil Mansour, votre parti est l’une des formations politiques les plus opposées au Haut Conseil d’Etat. Vous êtes accusés par certains de diriger cette bataille contre le HCE sur deux fronts différents, celui des médias et celui de la mobilisation de la rue. Quelle évaluation faites-vous de l’action du Fndd sur ces deux fronts ? 
Tout d’abord, je vous remercie à l’occasion et je souhaite à cet édifice médiatique plein succès. Pour ce qui est de mon évaluation de l’action du Fndd, je trouve que, malgré les conditions qui l’entourent et en dépit des obstacles et écueils nés de la nature même des coups d’Etat, notamment ce qui en découle comme opposition farouche aux objectifs qu’ils prétendent défendre, et parce que les populations se familiarisent et s’adaptent avec les putschs, quoiqu’ils ne les reconnaissent pas, de manière temporelle et passagère…avec tout cela, nous estimons que la coalition a pu au cours de ces derniers 7 mois donner un modèle de combat politique pacifique contre le coup d’Etat survenu dans le pays le 6 août 2008. 
Les actions sur les plans de l’information, de la sensibilisation populaire et politique ont atteint des niveaux acceptables, surtout, si l’on sait qu’en une aussi courte période, à travers un ensemble d’activités populaires, le Front a prouvé et démontré sa capacité de mobilisation populaire toujours massive comme cela été au premier jour du putsch. Ceci ne pourrait qu’être une preuve suffisante du dynamisme effectif de la coalition et de la grande sympathie dont elle jouit auprès d’une bonne partie de la rue mauritanienne pour la défense des revendications démocratiques de la coalition anti-putsch. 
En général, nous sommes satisfaits de l’action du Fndd. Mais, sans doute, le noble objectif mené, la vivacité de la coalition anti-putsch, la dimension de son combat demandent davantage de sacrifices et de lutte pour que l’action se généralise à tous les niveaux de sensibilisation et d’information. 
Dans une première réaction du gouvernement sur le retrait de la coalition anti-putsch lors du discours du Guide libyen au palais des congrès, le ministre de la communication a accusé implicitement le Fndd d’œuvrer à porter atteinte à la renommée du pays et à menacer sa stabilité. Il a dit qu’ils ne toléreront pas de tels actes. Craignez-vous alors des arrestations dans vos rangs ? 
  
Il a laissé entendre aussi que le Fndd a changé son discours. Les propos du ministre sont-ils exacts ? 
Certains observateurs trouvent que le Front n’avait plus devant lui qu’une alliance avec les Etats Unis d’Amérique qui sont considérés comme le seul pays capable de faire échouer le coup d’Etat. Cela est-il fondé par le faite que « l’ennemi de mon ennemi et mon ami » donc qu’une alliance avec l’entité sioniste pourrait être de quelque utilité pour la coalition anti-putsch 
En réalité, il y a une consternation au sujet de ces propos. L’intérêt et la renommée du pays, une part de sa souveraineté, de son histoire et de sa place dans le monde, reflètent à bien des égards que notre retrait de la salle dans laquelle le Guide prononçait son discours, notre fierté de défendre notre pays, notamment quand notre interlocuteur laisse percevoir dans ces déclarations une atteinte à notre intégrité et un mépris de sa part qui ne nous sied pas ; étant donné que nous nous considérons comme défenseurs de la Mauritanie, pour que ce pays soit maître de sa stabilité, de sa sécurité, de sa popularité, de ses principes, de sa démocratie…etc. 
Sur toutes ces grandes valeurs intouchables de notre pays, il est tout à fait normal qu’on ne peut pas garder le silence, ni rester indifférents quand on y porte atteinte. Ceci évidemment, en plus de la partialité qu’il a nettement manifesté en faveur du Haut Conseil d’État. Nous estimons donc qu’il s’agit d’accusations dépourvues de tout sens dont le retournement sur leurs propres auteurs se trouve démenti par la nature même des actes, des comparaisons, des preuves et des actions. 
Pour ce qui des craintes dont vous parlez sur des possibles arrestations dans nos rangs, la résistance aux coups d’État et l’opposition aux régimes militaires, est certainement le minimum possible auquel on peut s’attendre. En effet, ce sont les arrestations, les intimidations qui sont généralement le lot quotidien de ceux qui se dressent habituellement devant les auteurs des complots militaires sur les régimes démocratiques. 
Cela revient donc à dire que les arrestations n’ont pas de place dans nos esprits et que c’est le moins auquel on peut s’attendre à tout moment. Nous sommes en conséquence constamment disposés à toutes les options de sacrifice possible dont l’emprisonnement est le moindre qui puisse advenir. 
Je pense que l’histoire des Etats Unis d’Amérique et l’Occident de manière générale n’est pas valable dans le conflit politique existant. En général, l’objectif des différents antagonistes de la scène politique nationale, c’est de trouver des positions favorables ou opposées des parties extérieures et de l’Occident en particulier. Il est donc tout à fait normal que les délégations de tous les adversaires politiques visitent, discutent et expliquent pour convaincre cette partie ou cette autre à adhérer à leurs causes. 
En conséquence, personne ne peut reprocher à quelqu’un quoi que ce soit à ce sujet. Nous n’avons pas changé d’un iota notre discours, dans quelque direction que ce soit. Le Fndd en général et certaines de ses composantes en particulier, ont toujours rejeté dans leurs positions les politiques menées par le pays de l’Oncle Sam et cette logique des Etats Unis est bien connue, dés lors où elle est réitérée à chaque occasion qui se présente. 
Pour ce qui de l’histoire de l’entité sioniste, elle ne diffère pas de cette première et n’existe donc absolument pas. Dans la coalition anti-putsch, du moins au parti Tawassoul, bien que nous ne reconnaissons pas la légitimité de l’actuel pouvoir, dans toutes les étapes franchies dans le cadre de la rupture des relations diplomatiques avec Israël, nous avons exprimé notre satisfaction. 
En conséquence, cette histoire ne tient pas debout. Je pense qu’au sein du Fndd en général, des parties ont constamment assumé leurs responsabilités historiques et ont travaillé sur tous les plans de la mobilisation populaire, politique et médiatique jusqu’à l’avilissement de cette relation diplomatique humiliante. Personne ne pourrait supporter cette relation et toute entente ou alliance avec Israël était considérée anormale et ne devra jamais avoir lieu. 
Par ailleurs, la tentative de classer l’actuel régime militaire dans le courant des pouvoirs opposés au maintien de cette relation avilissante et par conséquent d’adversaire aux politiques menées par les Etats Unis et par l’entité sioniste est également infondé en raison de la nature de la personne même de ses dirigeants, de leur politique et aussi du caractère politique de ceux qui leur servent de soutiens. 
Dans des déclarations faites à la presse nationale et internationale vous avez dit que le médiateur libyen n’était plus neutre après l’invitation adressée par le président Kadhafi aux différents antagonistes pour tourner la page du passé…Ce qui a été interprété comme un refus de traiter dans le futur la situation politique en Mauritanie en raison du mandat octroyé par la communauté internationale au Guide libyen, également président de l’Union Africaine. 
  
Cela voudra t-il signifier que vous ne reconnaissez pas sa vision des choses qu’il présentera à la communauté internationale à la fin du mois imparti à la recherche d’une solution au dialogue mauritano mauritanien, surtout si l’on sait qu’avant son départ, Kadhafi a indiqué que la « Mauritanie ne fera l’objet de sanctions que si elle n’organisera pas des élections présidentielles transparentes qui ramènent le pays à l’ordre constitutionnel » ? 
Je pense que le problème de Kadhafi ne sera pas avec nous, mais au contraire, il sera entre lui et la communauté internationale et l’UA qui l’ont investi de cette médiation précisée dans les communiqués du 21 novembre à Addis Abeba et le 20 février à Paris dans un cadre très précis et sur la base d’une vision claire qui prend pour point de départ la référence à la constitution pour l’organisation d’élections présidentielles transparentes crédibles supervisées par un gouvernement neutre. 
Un gouvernement qui devra rejeter les conditions d’unilatéralité avancées par une quelconque partie des antagonistes en présence. Ceci dit, par ses déclarations, le Guide libyen Mouammar El Kadhafi est sorti de manière très visible du contexte défini par ces paramètres susmentionnés. Ce qui a été d’ailleurs reconnu par des parties extérieures concernées par le dossier politique mauritanien à l’instar de l’Union Européenne et de pays africains. 
C’est donc à lui que revient l’explication à la communauté internationale et à l’Union Africaine les raisons de cette dérive ainsi que les motifs qui ont conduit à ce premier échec dans la médiation dont ils l’ont mandatée. 
Pour ce qui nous concerne au sein de la coalition anti-putsch, il est clair, qu’il y un cadre pour le dialogue qui doit être précisé. Il y a des références, des objectifs de la concertation. C’est seulement après que l’on pourra s’attaquer aux détails. Nous estimons que ce que le Guide Kadhafi et médiateur libyen a fait, était malheureusement, une dérive claire de ce processus qui a été indiqué sur la base des décisions de la communauté internationale et de l’UA. 
Nous estimons aussi qu’il s’agit d’un manquement, d’une atteinte nette et flagrante à ces règles et à ces principes. Tant que le médiateur libyen n’a pas changé de manière précise ses méthodes de médiation et que son action ne s’est pas inscrite dans le cadre des recommandations de la communauté internationale et de l’Union Africaine, notamment sur la base d’une référence à la constitution et dans le but de trouver une solution démocratique pacifique à ce pays, loin de tout blasphème ou critique démocratique, s’il ne répond pas à ces points, sa médiation n’aura pas sa raison d’être. 
  
Les trois parties de la crise politiques ne se rencontrent qu’en cas impérieux de trouver une issue à l’actuelle impasse politique… Pensez-vous que le rejet du dialogue avec les autorités sera utile pour le retour du président déchu a pouvoir ? Vous misez sur les sanctions internationales pour amener l’actuel pouvoir à renoncer à la confiscation de la démocratie. Au même moment, vous ignorer le peuple qui sera la première victime de tout embargo…Qu’en sera-t-il si les choses s’aggravent… Pensez-vous que la démocratie est meilleure que la paix et la stabilité ? 
Nous pensons que cette question doit être adressée à celui qui répond à cette description que vous avez faite, à celui qui nous a conduit à cette impasse, qui a fragilisé la stabilité et la démocratie dans le pays. C’est lui qui doit répondre à la question « si la démocratie est plus importante que la stabilité » ? 
Nous ne considérons pas que la démocratie est meilleure que la stabilité. Nous estimons que la démocratie est un préalable, une condition sine qua none à la stabilité. Pour cette raison, nous veillons incessamment sur elle. 
Premièrement, pour ce qui est des parties en conflit dans la crise nationale, nous, au sein de la coalition anti-putsch, nous pensons qu’avec le Rassemblement des Forces Démocratiques Rfd que nous sommes d’accords sur un ensemble de points. Il s’agit entre autres de notre convenance commune sur la nécessité de mettre fin à ces coups d’État militaires, c’est-à-dire à mettre définitivement fin à l’autorité militaire…. 
Nous sommes d’accords sur le rejet des conditions d’unilatéralité, sur le fait que les élections futures doivent être transparentes et doivent être supervisées par un gouvernement neutre, d’union nationale ou une équipe gouvernementale issue d’un consensus national. 
Nous ne sommes pas d’accord sur le retour de la légalité représentée par le président élu Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, que nous soutenons et que le Rfd rejette. Mais les points de convergence existent bel et bien et nous pensons que du point de vue démocratique et de l’intérêt national, il est important que deux parties de cet aussi important gabarit politique se rencontrent et partagent ensemble leurs visions communes. 
Pour ce qui est de nos autres frères, ils sont en réalité, jusqu’à présents prisonniers des conditions du régime militaire en palle. En conséquence, ils ne sont pas libres dans leurs mouvements dans cette situation politique délicate. 
En général, cher frère, nous préférons, croyons et appelons au dialogue dans ce pays, pour sa sécurité, son unité. Nous nous opposons à l’ingérence extérieure dans nos affaires. Nous pensons que la mise en échec de ce coup d’Etat militaire et le retour de la démocratie au pays du régime constitutionnel est le seul capable de garantir ces objectifs et ses significations.. 
Nous insistons donc sur la nécessité de faire échouer le coup d’État militaire et de restaurer la vie démocratique véritable dans ce pays. Nous avons notre vision et nous sommes ouverts à tous les autres points de vue. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes entrés dans le dialogue avec cet esprit d’ouverture. Nous avons voulu définir un cadre et préciser des règles avec l’identification de références, pour que le dialogue soit crédible. 
Le frère Kadhafi a voulu entrer dans les détails fragmentaires loin de tous ces paramètres. Notre position était donc claire, qu’il s’agisse des aspects relatifs aux détails avant terme ou qu’il s’agisse également du net parti-pris du guide libyen au profit du Haut Conseil d’Etat manifesté aussi bien au cours des audiences privées qu’au niveau des rencontres publiques. 
  
Ils disent que le vice-président du parti Tawassoul s’est retirée de la khoutba du vendredi dernier pour des raisons politiques, comme le Fndd s’est retiré de la salle du palais des conférences pour des motifs politiques, alors que vous et votre adjoint vous êtes restés pour suivre le discours du guide libyen qui évoquait le Sahabi Maaouioya ben Ebi Souvyane Paix sur Lui. Cela voudra t-il signifier que l’interdit politique est devenu à vos yeux plus important que l’interdit religieux ? 
Premièrement, pour ce qui concerne le retrait du palais international des conférences de Nouakchott et le retrait de la prière du vendredi pour le frère Mohamed Ghoullam, comme je l’ai expliqué avant, il s’agit d’un acte de protestation à la dérive de la khotba du vendredi de son cadre et de ses allures habituelles. C’est aussi le cas de la dérive du processus politique centriste au cours de la rencontre du palais des congrès. 
Pour ce qui est de la khotba de Kadhafi après la prière collective qu’il avait dirigée, premièrement, soulignons que nous étions sur la tribune. Les gens qui n’étaient pas à cet endroit ne pouvaient pas entendre le discours du guide libyen. Tu peux en avoir la certitude ferme en vous renseignant auprès de la présence ce jour-ci à la khotba de kadhafi. 
Par ailleurs, la différence principale dans l’évaluation de l’histoire islamique, en ce qui concerne l’ère des Omeyyades, est un fait connu par de nombreux idéologues, écrivains. Ce n’est donc pas nouveau. Les positions par rapport au règne omeyyade et de certaines parties par rapport à celle-ci sont devenues donc à travers les temps un aspect intrinsèque au conflit politique et idéologique cité dans les cercles islamiques. 
En l’occurrence, nous estimons que le Guide libyen pouvait s’exprimer comme tel, et que nous aussi, nous pouvons dire le contraire, sans pour autant que les choses arrivent au stade qu’elles ont atteint au palais des congrès. En effet, ce qui s’est produit au palais des conférences de Nouakchott constitue sans aucun doute une menace incontestable de l’infrastructure globale dans la possibilité de faire réussir la médiation et le dialogue. 
Propos Recueillis par Sid’Ahmed Traduction PC 
Source : Points Chauds (Mauritanie)